En 2020, l’Église catholique romaine à Genève a célébré 405 baptêmes, contre 792 en 2019. L’impact de la pandémie est certes indéniable, mais la tendance à la baisse est plus ancienne et elle est observée dans toute la Suisse. Selon l’Institut suisse de sociologie pastorale (SPI), durant les 20 dernières années, le nombre de baptêmes catholiques a diminué d’un tiers. Cette diminution s’explique en partie par le vieillissement de la population, mais elle suggère néanmoins un affaiblissement progressif des traditions religieuses familiales. «Il semble que ce ne soit plus évident que les parents fassent baptiser leurs enfants», affirme le SPI. Le baptême est-il en crise ? Nous vous proposons un entretien avec l’abbé Thierry Schelling, Modérateur de l’Unité pastorale Eaux-Vives – Champel à Genève.
Entretien
Dans les milieux urbains, je n’observe pas une baisse tangible. Cela s’explique en premier lieu par la présence de familles catholiques issues de la migration italienne, hispanique ou encore lusophone. Même les deuxième et troisième générations demandent le baptême pour leurs enfants. Dans les campagnes, il y a en revanche une diminution.
Le baptême en tant que tel n’est pas en crise. L’appartenance religieuse et l’adhésion de foi connaissent des changements considérables. Nous devons donc faire avec la sécularisation en cours. Le catholicisme n’est plus une religion de masse et nous avons moins de demandes de baptêmes et moins de gens dans les églises. Dans notre société sécularisée, pluraliste et multireligieuse, le baptême n’est plus une évidence qui s’impose.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de faire des “recrues”, de se dire “un de plus” quand des parents viennent frapper à notre porte, mais il faut se réjouir si les personnes qui choisissent le baptême et l’Eglise sont plus conscientes, si elles cherchent une vraie cohérence, dans un choix libre et réfléchi. Il y a une chance de renouvellement du sens du baptême, de purification !
Dans la même optique, je crois que l’Église-institution aussi doit se déshabiller du superflu que les siècles d’histoire ont superposé, d’une attitude de supériorité que les scandales ont mis à mal. Dans son livre Foi & religion dans une société moderne, le cardinal Joseph De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles, soutient que l’Église doit être témoignage dans le monde d’aujourd’hui. Il évoque les moines de Tibhirine et donc l’exemple d’une Église humble, sans complexe ni arrogance, mais ouverte et solidaire. C’est un modèle pour continuer à témoigner dans ce siècle que le Christ est vivant et que l’Esprit Saint agit.
Souvent la demande de baptême s’inscrit dans une tradition familiale. Nombre de parents affirment qu’ils souhaitent donner une base de départ à leur enfant ou expriment le désir de l’insérer dans leur religion catholique, dans la communauté-Eglise.
Il y a des familles qui ne participent pas à la messe du dimanche et ils me le disent « Nous ne sommes pas très pratiquants, nous n’allons pas souvent à la messe, mais nous voulons baptiser notre enfant ». Les parents en sont parfois gênés et s’excusent. D’autres viennent pour le baptême de leur enfant qui a déjà 2, 4 ans ou plus. Eux aussi s’excusent de ne pas l’avoir baptisé avant, comme s’il y avait une faute de leur part. J’aime dire à ces familles qu’il n’y a pas d’âge pour le baptême et que la pratique de la foi ne se limite pas à la messe. La foi peut être vécue aussi dans la prière, la lecture, dans l’église domestique, la diaconie, l’attitude de service dans le travail et la vie quotidienne…. Je leur dis qu’il est possible de pratiquer la foi au quotidien si c’est Christ qui guide et inspire nos actions. Souvent je leur offre un Évangile en format de poche. C’est la base et il reste irremplaçable.
Très souvent c’est la mère, parfois la grand-mère qui établit le premier contact, mais c’est le couple qui participe aux rencontres.
J’explique aux parents que le baptême est le seuil d’une porte, une entrée pour chercher le Christ dans le quotidien et en toute chose. Au risque de les décevoir, je leur indique qu’ils ne peuvent pas transmettre la foi à l’enfant : « vous pouvez lui donner un cadre culturel, avec des codes, des rites, un savoir, un exemple de vie, l’aider à se familiariser avec le Christ et l’Évangile, mais la foi c’est entre l’enfant et Dieu, c’est une expérience qui jaillit chez la personne”.
Il m’arrive de leur demander de classer en ordre d’importance trois sens du baptême : “Devenir disciples de Jésus-Christ”, “Bénédiction et protection”, “Faire partie de la communauté Église ». En premier, neuf fois sur dix les personnes mettent en premier la “Protection-bénédiction”, puis “Faire partie la communauté” et seulement en troisième place “Devenir disciple de Jésus”. Sans critiquer leur choix, je leur propose de mettre “Devenir disciples” à la première place et de réfléchir à partir de là.
Je célèbre la messe et le sacrement au service de la famille et par cette célébration je sais que Dieu s’implique dans la vie de la famille et de l’enfant et que Jésus-Christ et l’Évangile peuvent devenir des compagnons de route. Durant la célébration, iI s’agit de raviver en eux la grâce de leur baptême, de leur « rafraîchir la mémoire ».
Je garde un bon souvenir du baptême d’une enfant en âge scolaire. Elle a vraiment participé à la célébration avec des réponses réfléchies aux questions : Crois-tu en Dieu ? Oui, oui je crois. Crois-tu en l’Esprit-Saint ? C’est plus difficile. Fais-tu confiance à la communauté ? Oui, ok. Est-ce que tu veux te faire baptiser ? Oui je le veux ! a-t-elle dit dans un cri de joie.
Aussi, si des enfants participent à la célébration, je les invite à bénir l’eau avec moi. Une fois, j’ai invité les mamans et j’ai vraiment senti un grand investissement et une grande émotion, en ce moment où l’Eglise accueille ce qu’elles ont de plus cher, leur enfant.
Le jour du baptême, le prêtre trace sur leur front du baptisé une onction de Saint-Chrême avec ces paroles : ”Vous êtes membres du Corps du Christ et vous participez à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi”. Chaque baptisé est donc appelé à vivre cette triple vocation. Qu’est-ce que cela signifie ?
Thierry Schelling : C’est ma partie préférée du baptême. J’explique toujours qu’il y avait trois personnages importants du temps de Jésus le prêtre, le prophète et roi, que l’on peut décliner au féminin !
Prêtre : une personne qui peut porter devant Dieu les joies et les peines des personnes qu’elle rencontre, qui fait le lien et verbalise cela dans sa relation avec Dieu et avec les personnes.
Prophète : c’est l’enquiquineur de service ! Cela veut dire celui ou celle qui devant les situations d’injustice dans le quotidien et dans le monde, les dénonce et rappelle ce qui est juste, selon l’Évangile
Roi : c’est celui qui gère un territoire. Aujourd’hui, c’est la planète, la création. Il s’agit d’en prendre soin. De respecter la nature, les animaux, le climat aussi au nom de la foi. Récolter les déchets au bord du Rhône est aussi une démarche de baptisé.
En bref, le baptême nous engage !
Paru dans REGARD n°9 août-septembre 2021
Image Baptême: Godong